DISPARITIONS : Ignatz Bubis
Mis à jour le samedi 14 août 1999
AVEC Ignatz Bubis, l'Allemagne perd l'une
de ses plus importantes autorités morales. Le président de la communauté juive
du pays est mort, vendredi 13 août, à Francfort à l'issue d'une
« brève maladie »,
selon le Consistoire central des juifs d'Allemagne. Il était en mauvaise
santé depuis quelque temps. Président du Conseil central des juifs en
Allemagne depuis 1992, Ignatz Bubis, âgé de soixante-douze ans, rescapé des
camps de la mort, n'a eu de cesse de combattre pour perpétuer le souvenir de
l'Holocauste et, au-delà, pour la défense des minorités. Ses prises de
position fréquentes et sa présence dans le débat intellectuel en ont fait une
des voix écoutées du pays, critiqué par les uns, mais respecté par tous.
L'ancien chancelier Helmut Kohl n'avait ainsi pas hésité à participer à son
soixante-dixième anniversaire voici deux ans. L'actuel gouvernement allemand
s'est dit « grandement affecté » par ce décès.
Ignatz Bubis était revenu en Allemagne après
avoir survécu aux camps. Il était né à Wroclaw, un territoire aujourd'hui
polonais, en janvier 1927. Il avait huit ans quand sa famille avait émigré
plus à l'est, en Pologne, pour s'éloigner de la menace nazie qui commençait à
poindre. Mais pendant la guerre son père, emmené devant lui par les nazis, un
frère et une soeur, n'ont pas échappé à l'extermination. Lui-même fut
emprisonné dans un camp de travail destiné à la fabrication de munitions, près
de Czestochowa. Il fut libéré en 1945 par les forces de l'Armée rouge. Il
devait confier plus tard avoir beaucoup hésité à revenir en Allemagne.
DERNIÈRE POLÉMIQUE 2Investisseur
immobilier à Francfort dans les années 60-70, Ignatz Bubis eut maille à partir
avec des étudiants squatters qui entraient régulièrement en conflit avec les
forces de police dans certains quartiers de la ville. Cet épisode de sa vie
professionnelle inspira une pièce de théâtre contestée au metteur en scène
allemand, Rainer Werner Fassbinder. Ce dernier s'en prenait en effet aux
spéculations immobilières d'un « juif riche » : Ignatz Bubis protesta
en occupant le théâtre, avec des proches, le jour de la première en 1985.
La dernière grande polémique historique à
laquelle il prit une part active est celle déclenchée par l'écrivain Martin
Walser. En octobre 1998, celui-ci avait considéré que sa génération, née après
la guerre, ne pouvait plus assumer la responsabilité, la honte et les remords
liés à l'Holocauste ; qu'elle était lasse de devoir répondre encore des
atrocités commises à l'époque. Cette opinion est aujourd'hui répandue en
Allemagne ; le chancelier Schröder ne cache pas non plus qu'il appartient à
une génération qui ne se sent plus personnellement liée aux acteurs et aux
victimes de cette tragédie. Mais cet état d'esprit a fait fortement réagir
Ignatz Bubis qui y voyait les traces d'un antisémitisme latent dans la société
allemande actuelle. Pour lui, le rappel incessant de l'Holocauste passait
avant tout. Récemment, il a d'ailleurs salué la décision de construire un
mémorial de l'Holocauste à Berlin, car, a-t-il expliqué, il avait presque
perdu espoir de voir ce projet déboucher après onze ans de multiples
controverses.
Dans une récente interview-testament au magazine
allemand Stern,
Ignatz Bubis estimait n'être parvenu « à presque rien » pendant ses
sept ans de combat pour la tolérance à la tête de la communauté juive. Il
déplorait l'état des relations judéo-allemandes. Il a d'ailleurs demandé à
être inhumé en Israël par peur que sa tombe, comme celle de son prédécesseur,
Heinz Galinski, ne soit profanée un jour en Allemagne. Ses obsèques auront
lieu dimanche en Israël.
Philippe Ricard
Ignatz Bubis 1927-1999